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ANA FERNÁNDEZ

Trente ans après
la dictature argentine,
le roman d’un exil

Interdit de mémoire

Quels terribles secrets se cachent-ils
dans la tête de Maty, rentrée à Buenos
Aires après avoir fui la dictature ? C’est
ce que cherche Paula, jeune Belge
d’origine argentine venue recueillir les souvenirs de la vieille
dame comme on remonte un fleuve, alors qu’à l’écoulement du
temps s’ajoute l’étendue d’un océan, la profondeur d’un exil.
En épisodes entrecroisés, le lecteur accompagne le destin d’hommes
et de femmes aux idéaux fracassés, aux espérances fragilement
recomposées à travers l’amour, l’amitié, la solidarité. Ce récit
poignant, mais aussi plein d’humour, est un kaléidoscope constitué
de «fragments de mémoire» que l’auteur fait tourner jusqu’au vertige.
C’est également un réquisitoire contre l’oubli organisé, une
histoire de disparitions pour conjurer la disparition de l’histoire et,
par là même, son recommencement possible.

Née à Buenos Aires, Ana Fernández y a enseigné
la littérature et obtenu en 1965 le Prix de
Poésie du Fonds national des Arts. En 1978,
l’exil la conduit à Bruxelles où elle vit actuellement.
Elle remporte en 1980 un concours de
contes et, en 2002, le deuxième Prix de Poésie
des Éditions Nuevo Ser. Interdit de mémoire,
(Fragmentos de una memoria, publié à Buenos
Aires en 2006) a été déclaré « de nature à
combler un vide dans la mémoire collective
et à instruire la jeune génération ».
Adapté de l’espagnol (Argentine) par Pierre Ergo et l’auteur.

Interdit de mémoire

Avant-propos par Daniel Simon

      
L’exil, avec le temps, semble ne pas se décomposer dans la mélancolie ou les regrets…Chez Ana Fernández, il s’agit plutôt d’un passage dans un territoire inaltérable de précision…Quelles que soient les conditions de l’exil, quelles qu’en soient les conditions, économiques, politiques et bientôt climatiques, les traces de cet arrachement du pays natal sont bien plus complexes et subtiles que ce que la morale compassionnelle de notre temps semble vouloir faire entendre… Rien n‘est jamais résolu définitivement avec la question de l’origine suspendue. Chacun refait alors des simulacres de reconstitutions, des mises en scène de retrouvailles, des rituels de mises à mort ou de renaissance. Ca prend une vie et puis ça passe à la génération suivante dans des lieux communs traversés de brouillard…
L’Argentine a connu récemment, dans les années septante, un passé si noir que ce nom aux accents de richesses joyeuses, Argentine, semblait pour nous la limite de notre système, celui dans lequel nous vivions : la démocratie, l’aisance, l’avenir de la justice, le cosmopolitisme, le Sud et l’Europe assemblés. C’était la guerre alors partout, froide, imprécise, romanesque même. Et les corps disparaissaient, les vies s’évaporaient dans des théories ravageuses.
Ana Fernández a connu ce fracas, cette interruption soudaine du passé. Elle ne pourra plus se souvenir, en ses lieux, de ce qui l’a constituée : un paysage, une famille, des amis, un métier, une vie qui va en découdre avec les questions qui nous relient toujours à ce morceau de terre premier. En 1978, l’évidence tombe : elle doit partir. Elle arrive en Belgique et la reconstitution commence. La réinvention d’un pays dans un autre, le tissage de nouvelles amitiés dans l’éclairage des anciennes, l’apprentissage des travaux et des jours sur cette table rase de l’exil.
Le roman de Ana Fernández quitte la position de l’exilé enfermé et renoue avec le mouvement de la mémoire interrompue. Le texte rejoue, avec la distance d’une vie comme dioptrie de précision, les scénarios, les dramaturgies de la disparition et de l’oubli, mais aussi les effractions dans un bonheur nouveau, fragile, enchanteur, celui d’une vie à créer. Entre Maty, la vieille dame encombrée de souvenirs et de secrets retournée au pays et Paula, la jeune Belge d'origine argentine qui décide de la retrouver, vont se jouer en même temps, et dans la même intensité les actes d’une décomposition et d’une recomposition.
La mémoire est un flux drainé par d’autres flux plus profonds, inatteignables souvent sans la grâce de la création littéraire. « Interdit de mémoire » appartient à un genre odysséen. C’est Queneau qui prétendait pouvoir lire les œuvres du monde à partir de deux genres archaïques : l’Odyssée ou L’Iliade. La guerre avait eut lieu, restait le récit du retour des rescapés. C’est, me semble-t-il, la plus belle dimension de la littérature, celle qui donne au voyage un sens parce qu’il va être raconté. C’est ce que Ana Fernández nous offre ici. Et le pathos des retrouvailles n’a pas sa place dans le récit d’Ulysse, mais plutôt la ferveur, les secrets à peine dévoilés, l’humour et l’amour des paradoxes…La tristesse aussi, la perte, le souvenir des compagnons disparus et la joie de les nommer dans le fil du récit.
La phrase de Ana Fernández est toujours tendue dans ce double mouvement : creuser là où le fond semble disparaître, aller là où la confiance du lecteur semble donnée, et la déjouer, la remettre en scène et en selle.
« Interdit de mémoire » est le livre de ce temps disparu qui nous revient par à-coups, par glissements, par réjouissances successives qui s’appelle aussi l’amour.
 
Daniel Simon, août 2009.

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